Nouvelle saison

distinction



Alors je ne vais pas faire semblant et rouler des mécaniques. C’est vertigineux. Franchement.

Ça a beau faire 20 ans que je travaille à la Porte Saint-Martin, l’idée de donner la main à une nouvelle salle historique parisienne de 600 places, c’est vertigineux. On m’a demandé de faire une note d’intention pour expliquer mon projet. Cela m’a fait me replonger dans les discours et les livres de mon idole absolue. Parce que ça doit être compliqué de diriger un théâtre sans idole. Et c’est de ses idoles qu’il faut parler quand on nous interroge sur nous-mêmes puisque c’est elles qui nous construisent. Jamais je n’aurais fait ce métier de cette façon si je n’avais pas rencontré Laurent Terzieff, c’est évident. C’est en le voyant sur scène de très nombreuses fois et en lisant tout ce que je pouvais lire sur lui que j’ai appris ce qu’était le théâtre. Et puis j’ai eu la chance dingue de rencontrer quelques mois après le décès de Terzieff, Catherine Hiegel. Deuxième idole. Terzieff m’a appris l’éclectisme, Hiegel la fidélité. Les deux, l’exigence.

J’ai essayé de façon plus ou moins réussie au fil des saisons à la Porte Saint-Martin et au Petit Saint-Martin de tendre vers cette direction.
Le Théâtre de la Porte Saint-Martin est le meilleur théâtre de mille places de Paris (suis-je objectif ?) avec son plateau merveilleusement dimensionné et l’intimité de sa salle sur 5 niveaux, mais sa jauge nous contraint à des projets puissants médiatiquement. 
Le Théâtre du Petit Saint-Martin est le meilleur théâtre de deux cents places de Paris (suis-je objectif ?), avec son très grand plateau et son rapport scène / salle si particulier, mais sa jauge nous limite à des petites productions.

Pour pouvoir produire tous les projets que j’aime, il me fallait trouver une salle intermédiaire, de 600 places environ donc, qui m’offre la possibilité d’étendre le travail et la philosophie de production de la Porte Saint-Martin à un lieu différent mais cousin. La plus grande difficulté était de retomber aussi amoureux une deuxième fois, après l’idylle avec la Porte Saint-Martin. Habituellement on retombe amoureux après une rupture. Mais lorsque tout va bien avec le théâtre aimé, comment avoir des sentiments pour un autre ? 

J’ai visité de nombreuses salles, porté mes espoirs sur plusieurs projets passionnants, et puis Marc Ladreit de Lacharrière m’a fait cette magnifique proposition de reprendre la direction des Bouffes Parisiens. J’ai pris le temps d’aller visiter ce lieu que je connaissais mal. J’en avais été rarement le spectateur. J’ai été impressionné lors de sa visite par la chaleur de ce lieu. C’est un théâtre qui vous prend dans ses bras. Vraiment. C’est fascinant. Je vais tâcher désormais de déployer le projet artistique de ma première Maison aux Bouffes Parisiens. Ce théâtre d’une beauté saisissante et d’une intimité propice aux projets les plus ambitieux a une histoire passionnante. Offenbach, Verneuil, Guitry, Yvonne Printemps, Gabin, Cocteau, Desmarets, Pacôme, Maillan et tant d’autres… Les bases sont solides. 

Comme à la Porte St-Martin, je souhaite proposer un virage à la fois radical et en douceur, que ma première année de projets soit « Ceci et Cela » avec comme seuls points communs, l’exigence et la popularité. 

J’ai envie que les premiers spectacles présentés aux Bouffes Parisiens en 2025 soient à l’image de mes influences très diverses de spectateur. Il se trouve que l’un de mes premiers souvenirs de théâtre, c’est Isabelle Nanty dans le Tartuffe mis en scène par Jacques Weber au Théâtre Antoine. À la fin de la représentation je suis allé faire signer mon programme à l’entrée des artistes par Isabelle Nanty qui m’a dessiné « un soleil pour ta vie, Jean ». Alors après m’avoir ainsi illuminé, je lui dois bien d’ouvrir ma programmation avec elle. Ce sera son grand retour seule en scène dans un spectacle écrit et mis en scène par Vincent Dedienne et Juliette Chaigneau.

Ensuite, grâce au lien fidèle que nous avons su préserver avec Emmanuel Noblet, nous accueillerons sa mise en scène de l’adaptation du roman de Denis Michelis Encore une journée divine avec François Cluzet, lui aussi enfin de retour sur scène après 25 ans d’absence. Et puis, comme cela est au coeur de mon travail depuis quelques années, c’est une reprise d’un spectacle issu du Théâtre Public que les Bouffes Parisiens accueilleront d’avril à juillet. J’ai vu La Tendresse de Julie Berès aux Bouffes du Nord la saison dernière. J’ai été fasciné par son travail, par les textes et par les interprètes fabuleux de sa troupe. Rarement j’avais vu autant de jeunes dans une salle de théâtre et jamais un public ne s’était levé aussi vite à la fin, moi le premier. Enfin, parce que ce spectacle qui sera une production des Bouffes Parisiens réunira trois artistes majeurs auxquels je serai toujours fidèle, je suis très fier de prêter cette scène à Alain Françon qui dirigera Catherine Hiegel et Léa Drucker dans l’unique pièce de Claude Simon, La séparation. Lorsque Terzieff a pris la parole aux Molières 1993 pour sa récompense de meilleur metteur en scène, il a fait d’une part le meilleur discours de l’Histoire des Molières, et il a d’autre part rappelé ce qu’étaient les « moyens » du Théâtre.

« Le texte, les sentiments, les sensations, l’intuition, le brassage d’idées, la réflexion, le rire et les larmes, et pourquoi pas, le plaisir et le divertissement ».

Je pourrais tourner ma note d’intention dans tous les sens, jamais je ne réussirai à vous faire comprendre, mieux que cela, mon projet pour ce théâtre qui rejoint notre belle et grande Maison de la Porte Saint-Martin. C’est tous ces moyens que je vais utiliser pour tenter de faire honneur aux auteurs, aux metteurs en scène, aux interprètes et aux Bouffes Parisiens. J’ai une chance incroyable d’avoir un actionnaire passionné par ce projet culturel que je tente de déployer à la Porte Saint-Martin car, si il s’accorde avec une gestion rigoureuse de l’entreprise, il est évidemment moins rémunérateur qu’un projet qui serait davantage tourné vers une rentabilité à tout prix et à l’excès. Marc Ladreit de Lacharrière me fait confiance et je souhaite continuer à servir ses Théâtres au mieux. Nous n’avons connu qu’un seul exercice légèrement déficitaire depuis 2015. C’est une très bonne nouvelle pour le théâtre Privé. Cela prouve que nous pouvons diriger des théâtres majeurs par la taille et affirmer une certaine idée de l’exigence des auteurs, metteurs en scène et interprètes. 

Je suis fou de joie de prendre la direction du Théâtre des Bouffes Parisiens et de l’unir à la Porte Saint-Martin. Je suis impatient que les équipes des deux théâtres, constituées de formidables professionnels, s’unissent dans ces objectifs communs. Nous allons tout faire, ensemble, pour ne pas vous décevoir.

Jean Robert-Charrier
Directeur du Petit Saint-Martin, Bouffes Parisiens, Porte Saint-Martin